La recharge sous le prisme de l'énergie
Comprendre le marché de la recharge des véhicules électriques - Chapitre 1/4
Auteur : Franck MARTIN
5/14/2025
Cette analyse se déploie en 4 articles complémentaires. A l'issue de la lecture des 4 volets, vous aurez les clés pour mieux appréhender le marché complexe de la recharge des véhicules électriques.
Préambule
Ces articles feront référence aux véhicules légers non-utilitaires : la voiture. La recharge d’autres types de véhicules comme les camions (porteurs ou semi-remorques), les engins de chantier, les avions ou les bateaux étant spécifique, elle nécessite d'être approfondie séparément.
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#1 L'ENERGIE : suivons le chemin de l’électron et observons les singularités de la recharge des véhicules
#2 LES USAGES : quels sont les segments de marché et comment ils impactent la recharge
#3 LES SERVICES : quels sont les acteurs qui rendent possible la recharge sur les différents segments de marché
#4 LE MATERIEL : et enfin la borne de charge, car elle se situe à bien des égards au centre de la problématique
1. La recharge sous le prisme de l'énergie
L'électricité est un élément familier de notre quotidien : tous les foyers, les entreprises, les bâtiments publics en sont équipés.
La mobilité électrique peut donc bénéficier des infrastructures existantes de production, de transport et de distribution.
La recharge des véhicules fait cependant entrer la consommation d’électricité dans une autre dimension. Comme pour le téléphone portable, l’énergie est stockée dans une batterie, puis consommée en différé, mais dans des quantités bien plus élevées.
La capacité de la batterie d’un véhicule électrique est ainsi immensément plus grande – de l’ordre de 1 000 à 4 000 fois la capacité d’une batterie de smartphone.
Ce changement d’échelle a plusieurs conséquences techniques majeures.
Adapter votre infrastructure électrique existante
Tout d’abord la puissance électrique nécessaire à la recharge de la batterie du véhicule dépasse largement celle des petits appareils électroniques (smartphone ou ordinateur portable), et même la puissance consommée par nos appareils les plus puissants à la maison (chauffe-eau ou plaques électriques à induction) :
Puissance de charge d’un smartphone : 5 W*
Puissance de charge d’un ordinateur portable : 80 W
Puissance d’un ballon d’eau chaude électrique : 2 000 W, ou 2 kW
Puissance des plaques électriques à induction : 6 000 W, ou 6 kW
Puissance de charge d'un véhicule électrique en charge lente (appelée « charge AC ») : de 3 000 à 22 000 W, ou 3 à 22 kW
Puissance de charge d'un véhicule électrique en charge rapide (appelée « charge DC ») : de 50 000 à 200 000 W, ou 50 à 200 kW
*W : prononcer « watt » (ou « kilo watt » pour kW), c’est l’unité de puissance de l’énergie électrique, l’équivalent du cheval pour les voitures thermiques.
Cette puissance élevée peut excéder les capacités des installations électriques classiques, qu’elles soient domestiques, professionnelles ou publiques. Par conséquent, il est souvent nécessaire d’adapter ou de renforcer les infrastructures locales pour pouvoir supporter ces charges élevées :
Augmenter la puissance de connexion au réseau électrique : parfois changer le compteur Linky, parfois faire modifier l’arrivée électrique en amont du compteur Linky, parfois même connecter votre site directement en haute tension (20 000 V typiquement) et dans la quasi-totalité des cas faire évoluer votre contrat avec votre fournisseur d’énergie
Faire passer de nouveaux câbles électriques bien dimensionnés en puissance, entre votre tableau électrique et votre installation de recharge
Convertir l’énergie
L’électricité disponible sur votre site est dite « alternative » (courant AC, tension AC), tandis que la batterie du véhicule ne peut stocker que du « continu » (courant DC, tension DC). Il est donc nécessaire de réaliser une conversion d’énergie, celle-ci étant réalisée par un convertisseur de puissance AC-DC, souvent appelé « chargeur ».
Pour les petits appareils (smartphones et compagnie), ce chargeur est minuscule et peu puissant (les 5 ou 80 W vus plus haut).
Pour un véhicule électrique, il s’agit d’éléments bien plus conséquents, allant approximativement de 3 kW à 200 kW. En charge lente, les véhicules utilisent leur « chargeur embarqué » (de 3 à 22 kW), tandis qu’en « charge rapide », le convertisseur devient tellement volumineux qu’il est nécessaire de le sortir du véhicule et le mettre dans la borne elle-même. On verra plus précisément cette problématique AC / DC dans le 4ème volet de cette série d’articles, néanmoins il faut comprendre à ce stade que les bornes DC coutent 10 à 100 fois plus chères que les bornes AC à cause des convertisseurs AC-DC.
Compter l’énergie pour permettre la monétisation
Nous venons de voir que la recharge des véhicules implique des niveaux de consommation d’énergie importants, ainsi qu’une adaptation technique des infrastructures existantes. Ceci va nécessairement avoir un impact sur le service de recharge : le coût de l’infrastructure doit être un minimum amorti, et l’énergie distribuée est telle qu’elle ne peut être gratuite. Ce service doit être monétisé, et cette monétisation se scinde en 2 problématiques :
Compter l’énergie qui est distribuée
En être rétribué au juste nécessaire
Ces 2 sujets ne sont pas en soit d’une grande complexité, néanmoins dans le contexte d’une industrie encore jeune, les mécanismes, le matériel et les services associés ne sont pas encore bien secs. Il est donc utile de savoir où nous en sommes à date, le passé récent, et les tendances probables… On va aborder ici le sujet du comptage très lié à l’électricité, la rétribution sera abordée dans les volets 2 et 3 de cette série d’articles.
Le comptage est un sujet très réglementé par les institutions : pour chaque grandeur physique qui fait l’objet d’un commerce significatif, les appareils qui sont chargés de les mesurer doivent respecter des cahiers de charges strictes. Les compteurs électriques de faible puissance (jusqu’à 22kW) respectant la réglementation existaient dans l’industrie avant les bornes AC. Ainsi, les bornes de charge AC avec compteur intégré existent depuis longtemps. Pour autant, au niveau de puissance des bornes AC, la réglementation n’impose pas (…pas encore) de facturer le service de charge « au kWh* », c’est-à-dire de facturer l’exacte quantité d’énergie vendue. Il est toléré de facturer autrement (à la minute par exemple), même si les pouvoirs publics poussent à facturer l’énergie (pour la « transparence des prix »). Il est donc tout à fait possible d’acheter des bornes AC sans compteur, et d’en trouver encore sur le territoire, auquel cas le service est souvent facturé à la minute. Les pionniers des infrastructures de recharge – par soucis d’économie – ont historiquement déployé des bornes AC sans compteur, donc il n’est pas rare de tomber sur ces cas sur de « vieilles bornes ». Aujourd’hui pour les nouvelles installations de bornes AC, il est d’usage de compter et de vendre le service au regard de l’énergie distribuée.
*kWh : prononcer « kilo watt heure » en un seul mot, c’est l’unité de « volume » de l’énergie électrique, l’équivalent du litre d’essence.
Pour les bornes plus puissante (bornes DC) l’histoire est assez différente : l’industrie n’avait pas développé de matériel de comptage en courant et tension DC avant que ne surviennent les bornes DC. Les fabricants de bornes et leur eco-système industriel ont donc « attendu » que les pouvoir publics réglementent. Et ça n’est que depuis avril 2024 qu’il est obligatoire d’intégrer un compteur sur les nouvelles bornes dont la puissance est supérieure ou égale à 50 kW. L’industrie de la recharge a donc développé des « compteurs DC » en 2022 – 2023 en adéquation avec cette réglementation à venir.
Aujourd’hui en 2025, la plupart des transactions se font en kWh, mais il n’est donc pas rare de tomber sur des exceptions.
En résumé :
La charge d’un véhicule électrique consomme beaucoup, suffisamment pour impacter l’infrastructure électrique des bâtiments
L’usage de la batterie nécessite une conversion AC-DC, donc un équipement dédié à cette conversion, qui en fonction de la puissance de charge souhaitée peut se retrouver dans la borne de charge ou dans la voiture
L’énergie doit être comptée pour rétribuer celui qui propose ce service