La recharge sous le prisme des services

Comprendre le marché de la recharge des véhicules électriques - Chapitre 3/4

Auteur : Franck MARTIN

6/30/2025

Cette analyse se déploie en 4 articles complémentaires. A l'issue de la lecture des 4 volets, vous aurez les clés pour mieux comprendre le marché complexe de la recharge des véhicules électriques.

  • #1 L'ENERGIE : suivons le chemin de l’électron et observons les singularités de la recharge des véhicules

  • #2 LES USAGES : quels sont les segments de marché et comment ils impactent la recharge

  • #3 LES SERVICES : quels sont les acteurs qui rendent possible la recharge sur les différents segments de marché

  • #4 LE MATERIEL : et enfin le matériel, car la borne de charge se situe à bien des égards au centre de la problématique

Ces articles feront référence aux véhicules légers non-utilitaires : la voiture. La recharge d’autres types de véhicules comme les camions (porteurs ou semi-remorques), les engins de chantier, les avions ou les bateaux étant spécifique, elle nécessite d'être approfondie séparément.

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Préambule

3. Les services

Ou en français : l'opérateur de points de charge.

On l’a vu au chapitre précédent sur les segments de marché de la recharge : le paiement des sessions de charge – lorsque le service n’est pas gratuit – va se faire surtout au travers de l'authentification de l'usager par badge RFID. Concrètement, avant ou après avoir branché son véhicule, l’usager va passer son badge devant le lecteur RFID intégré à la borne de charge. Si le badge est accepté par la borne, celle-ci va déclencher le passage du courant vers la voiture et la charge va démarrer.

Hors exception, la borne ne décide pas seule si le badge est accepté ou non : elle envoie l’identifiant du badge à la plateforme cloud à laquelle elle est connectée, et cette plateforme – appelée « plateforme de supervision » lui retourne OUI / NON. La borne se charge ensuite de déclencher / ou pas la session de charge. En fin de session, la borne agrège dans un message l’ensemble des données de la session, et en particulier le nombre de kWh à facturer, et envoi le tout à la plateforme de supervision.

C’est ce service de paiement par badge que permet la plateforme de supervision. Sans le badge RFID, et sans la plateforme de supervision, le paiement aurait du se faire par carte bleue et terminaux de paiement. Le déploiement des infrastructures de charge aurait été particulièrement freiné (coût des terminaux de paiement en environnement extérieur) et avec des frais de transaction plus chers (amortissement des terminaux de paiement + frais bancaires) la transition vers la mobilité électrique aurait nécessairement été plus lente.

Le CPO – l’opérateur de point de charge – est l’acteur qui opère cette plateforme de supervision. Cet acteur achète une plateforme, ou développe sa propre plateforme, et opère l’ensemble des services techniques permettant aux bornes d’y être en permanence connectés.

Et pour que le service de session par badge puisse fonctionner, le CPO au travers de sa plateforme doit s’assurer que la borne est bien 100% fonctionnelle et 100% disponible. La plateforme monitore ainsi en permanence la santé de son parc de borne, et alerte le CPO de toute anomalie en temps-réel. Le CPO se charge ensuite de résoudre ces anomalies, parfois à distance, parfois en demandant à des équipes terrain d’intervenir.

a. Le CPO : Charge Point Operator

S’il fallait ne retenir que 2 services, le CPO :

  • Supervise son parc de borne

  • Assure le service de sessions de charge par badge

et ce grâce à sa plateforme de supervision.

Ou en français : l'opérateur de mobilité.

Revenons aux CPO. Ils étaient historiquement spécialisés sur des segments bien spécifiques :

  • Les pétroliers ont déployé et opéré des bornes sur leurs stations-services (TotalEnergies, BP…)

  • Les syndicats d’énergie départementaux ont déployé et opéré des bornes en voirie dans les communes de leurs département

  • Des start-up ont déployé et opéré des bornes en B2B (G2 mobility…), pour d’autres en stations rapides (Ionity, Electra…)

  • ...

b. Le MSP : Mobility Service Provider

Chaque CPO a développé sa marque de badges RFID qu’il distribuait à ses clients, permettant à ces derniers d’accéder aux bornes du dit CPO (pas forcément toutes le bornes : certains clients pro par exemple souhaitent conserver un usage purement privé).

L’usager devait donc posséder à cette époque (~avant 2015) autant de badges RFID que de « réseaux de points de charge » auxquels il voulait se raccorder. On voit bien qu’il était nécessaire d’être usager expert pour s’y retrouver… c’était le prix à payer pour s’affranchir des cartes bleues et terminaux de paiement.

Pour résoudre ce problème « 1 badge = 1 réseau », des entreprises ont développé un nouveau service : « opérateur de mobilité », ou MSP. Ils ont développé des partenariats avec plusieurs CPO, et ont émis des badges permettant l’accès à l’ensemble des CPO avec qui ils avaient contracté. Donc avec ce badge : 1 badge = X réseaux. C’est le cas par exemple de ChargeMap : ces derniers proposent à l’usager un badge et une interface mobile avec une map des points de charge disponible, mais n’installe aucune borne sur le territoire.

Dans ce cas, lorsque la plateforme de supervision du CPO reçoit un identifiant de badge qu’elle ne connait pas elle-même, elle « demande » à tous les MSP avec qui elle a un contrat si ce badge existe, et autorise / ou pas la session.

Avec cette organisation ou architecture à multiples CPO et multiples MSP, lorsqu’un nouveau CPO s’installe, il a un gros travail pour se connecter à tous les MSP car il y en a beaucoup (chaque CPO ayant systématiquement créé son propre service MSP…) Pour éviter la multiplication de ces intégrations entre nouveaux et anciens acteurs, une perte d’efficacité à l’échelle du marché, chaque pays a créé sa plateforme unique d’intermédiation. En France c’est GIREVE. Ainsi, pour se simplifier les démarches et éviter de se connecter à tous les CPO et ou tous les MSP, un nouvel acteur peut faire le choix de se connecter à GIREVE.

Début 2025 on peut citer par exemple le nouvel acteur YUSCO sur le marché de la recharge (CPO), qui a communiqué assez largement lors de sa connexion avec GIREVE, gage d’interopérabilité étendue de son réseau dont le déploiement démarre tout juste. Ainsi dès sa première station ouverte, YUSCO peut accepter l’ensemble des badges des MSP avec qui GIREVE a contractualisé, ce qui concrètement ouvre à la quasi-totalité des conducteurs d’EV.

En synthèse, le MSP permet l'interopérabilité des réseaux de CPO de manière relativement indolore pour l'usager

En synthèse de ce chapitre sur les services, il faut retenir que :

  • ce marché a vu l’émergence de 2 acteurs purs produits de la recharge : le CPO et le MSP

  • et que la recharge ne fonctionnerait pas sans l’acteur central de terrain qu’est l’installateur / mainteneur, souvent des entreprises historiques du BTP et/ou de l’installation électrique

c. L'installateur / mainteneur

On a jusqu’ici beaucoup parlé de services mais il en est un sans lequel rien n’est possible, celui qui permet le lien physique, électrique, entre la voiture et le réseau électrique : l’électricien.

On l’appelle souvent installateur, il installe en effet la borne, et mainteneur, c’est-à-dire qu’il la répare au besoin et l’entretien.

La borne de charge étant encore à l’heure actuelle un produit dont la maturité industrielle n’est pas encore atteinte, elle pose un certain nombre de problèmes à ceux qui sont chargés de l’installer et la maintenir. Car cette profession est plutôt habituée aux produits matures, et pas toujours encline à se familiariser avec de nouvelles technologies. Pour faire une analogie : il est assez peu aisé de trouver un électricien capable de vous installer un système domotique, marché également en quête de maturité. Il en est de même pour les bornes de charge.

La conséquence de ce décalage entre la maturité de la filière industrielle et les habitudes opérationnelles des installateurs mainteneurs, est que le parc global de bornes souffre d’un taux moyen de disponibilité médiocre.

Les raisons sont multiples, et je ne choquerai aucun professionnel du secteur si je dis que chaque maillon de la chaine doit être amélioré, optimisé. Néanmoins le sujet étant pris sérieusement par un certain nombre d’acteurs aujourd’hui, on peut raisonnablement espérer une croissance rapide du taux de disponibilité… pour atteindre 98% en 2025 ? surement pas, mais en quelques années assurément.

Ce sujet qui pourrait paraitre anecdotique pour certains, est en réalité l’épine dans le pied de tout le secteur IRVE aujourd’hui, car certains acteurs sont régulièrement pointés du doigt, parfois à tort (effet loupe sur des cas marquants mais quantitativement anecdotiques). Car personne n’a trouvé à ce jour de méthode miracle ou d’organisation pour palier à ces difficultés opérationnelles et atteindre un taux correct de disponibilité, disons au-delà de 98%. On peut a minima prédire que le hardware s’améliorant rapidement, le taux devrait déjà « monter tout seul » même si le reste de la filière ne faisait rien. En faisant une nouvelle analogie avec l’arrivée de l’électronique dans les voitures cette fois, les bornes ont actuellement le niveau qualité de celui de l’électronique des voitures des années 2000 – 2005 : phase d’intense croissance qualitative, mais encore très loin de l’asymptote.

Je ne dis pas ici qu’il suffit d’attendre que la qualité intrinsèque des bornes s’améliore. Elle va s’améliorer, il faut être conscient de cette tendance de fond, et il faut travailler à améliorer les organisations et les services sur l’ensemble des maillons de la chaine, et pourquoi pas innover : les temps y sont propices avec la disponibilité d’outils comme le big-data et l’IA.